NOVASTAN
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Le Parti Islamique du Turkestan Jacob Zenn : Cette théorie ne s’applique pas partout. Le Parti Islamique du Turkestan (PIT) était auparavant connu comme le Mouvement Islamique du Turkestan Oriental (MITO). Depuis sa création en 2008, orientée sur les Ouighours, citoyens chinois musulmans du Nord-Ouest du pays, le PIT a juré de mener le djihad contre « les occupants chinois communistes » du Xinjiang. Il est à noter que les deux premiers chefs du MITO et l’ancien chef du PIT Abdul Shakoor al-Turkestan (Abdul Shakur al-Turkestan) étaient très intégrés dans la communauté d’Al-Qaïda, tandis qu’al-Turkestan a servi comme commandant d’Al-Qaïda dans les zones tribales du Pakistan. La plupart des grandes attaques ont été commises par le PIT les 30-31 Juillet 2011 à Kashgar, dans la province du Xinjiang, en Chine. 18 personnes sont tuées et 42 blessées, dont les auteurs des attentats. Alexandre Knyazev : Rien à redire. Le Jund al-Khilafah (Les Soldats du Califat) J.Z : Le groupe Jund al-Khilafah, ou Les Soldats du Califat, est actuellement basé dans les zones tribales du Pakistan, mais d’après des indications, dispose de cellules dans le Caucase du Nord. Contrairement à une croyance répandue que le Jund al-Khilafah serait sorti de nulle part, à la fin des années 2000, dans le Caucase du Nord, les signes de la présence de groupes de combattants kazakhs opérant en liaison avec l’UDI et d’autres insurgés étaient déjà visibles. Le Caucase du Nord russe, comprenant les régions instables du Daghestan et de la Tchétchénie, se trouve à moins de 500 km de l’Ouest du Kazakhstan, de l’autre côté de la mer Caspienne. Le flux du commerce, des combattants et de l’idéologie salafiste du Caucase du Nord à l’Ouest du Kazakhstan a été la cause de la vague de militantisme dans cette région du pays ces dernières années. En 2011, le groupe Jund al-Khilafah a effectué au moins trois attaques à Atyraou, Taraz et Almaty (Kazakhstan). Sa principale opération a été associée aux meurtres en série commis en France par Mohammed Merah en 2012. D’autres attaques ont été menées au Kazakhstan par des salafistes-djihadistes en 2011 et 2012, mais ces combattants ne font pas partie d’un groupe particulier. Plus que tout, ils se sont radicalisés après avoir reçu une éducation salafiste. A.K : Je ne serai pas autant vindicatif que cela. Le Jund al-Khilafah ressemble jusqu’à présent plus à un mythe, à propos duquel nous ne disposons d’aucune donnée concrète. Le Khizb ut-Takhrir (Hizb ut Tahrir, Parti de la libération) J.Z : Le groupe Khizb ut-Takhrir, fondé en 1952 au sein de la diaspora palestinienne, considère que chaque musulman doit nécessairement travailler à la restauration du Califat islamique, qu’aucun autre système de droit, sauf la loi de la charia, n’est légitime et que pour les Etats musulmans, il est haram (pêché) de rechercher la défense de l’Amérique ou d’autres « infidèles » (pays non-musulmans). L’activité du Khizb ut-Takhrir a été déjouée en Ouzbékistan. Dans les années 1990, elle a acquis une popularité au début en Asie centrale et dans une grande partie du Kazakhstan, puis elle est apparue au Kirghizstan. Elle comptabiliserait de 20 000 à 100 000 membres. A. K : Pour moi, le Khizb ut-Takhrir al-Islami n’est pas une organisation terroriste. Elle doit être considérée comme extrémiste, à partir du moment où elle s’est détachée de l’Ikhwan-ul-Muslimon (Frères Musulmans), ayant notamment abandonné la lutte armée. Elle se définit plutôt comme une formation de « recrues » pour les organisations terroristes, créée par le MI-6 britannique, dont le siège de l’Etat-Major est à Londres et pour l’Asie du Sud – à Lahore, il y a une forte cellule avec des fonctions de coordination pour l’Asie centrale en Crimée.

Trois régions à risque La Vallée de Fergana J.Z : Il y a de nombreux problèmes frontaliers. S’ils restent en suspens, ils seront une source constante de conflit, qui à l’avenir pourrait se transformer en une guerre régionale. A.K : La Vallée de Ferghana est en général l’une des régions les plus conflictogènes du monde selon des caractéristiques objectives. Malgré l’abondance de prédictions alarmistes de ce dernier quart de siècle, cette région n’a connu que deux conflits sérieux : les conflits interethniques kirghizo-ouzbeks de 1990 et 2010. L’islamisme n’était présent ni sous la forme de vision, ni dans aucun des conflits. Oui, il y a un problème de propagation des mouvements et des organisations radicales et terroristes dans la vallée de Ferghana, comme dans toute la région, et non seulement dans cette région. Mais je m’abstiendrai de déclarations sur la probabilité de tout support de masse de ces mouvements et organisations dans n’importe quelle partie de la Vallée de Ferghana – kirghize, ouzbèke ou tadjike. Les événements de Batken de 1999 et 2000 peuvent servir d’exemple le plus frappant. Il s’agissait d’une tentative de pénétration de combattants étrangers infiltrés, tentative portant un caractère local et qui a été neutralisée relativement lentement, seulement du fait de la faiblesse des services secrets et des structures d’ordre kirghiz. Il en a coûté la connexion des alliés – la Russie, le Tadjikistan, le Kazakhstan – et tout s’est calmé en peu d’efforts. L’Oblast autonome de Gorno-Badakhchan et la Vallée de Racht au Tadjikistan J.Z : C’est une façon de voir les choses en effet. Mais parlons d’une autre région : le Badakhchan, frontalier de la province de Badakhchan en Afghanistan. En 2012, des affrontements entre le gouvernement tadjik et des seigneurs de guerre ont eu lieu. Longue et mal protégée, la frontière du Badakhchan avec l’Afghanistan passe à travers un terrain peu accessible et accidenté qui permet aux contrebandiers, aux extrémistes et aux terroristes politiques et religieux de se déplacer dans et hors d’Afghanistan. C’est aussi un passage dans la région pour les combattants d’Asie centrale. La Vallée de Racht, au centre du Tadjikistan, est également une zone d’instabilité et de guerres politiques, religieuses et claniques. À la fin des années 1990, dans un village de la vallée, le MIO a mis en place un Etat islamique de courte durée. A.K : Sur ces deux points, j’aimerais pouvoir développer un peu plus la situation. L’Oblast autonome du Gorno-Badakhchan (OAGB) est une région spécifique où la majorité de la population est composée de Pamiris, professant l’ismaélisme. Pour les groupes islamistes radicaux, s’associant et s’identifiant religieusement à la branche sunnite de l’islam, les ismaéliens ne sont pas des musulmans. Ils sont pires que les infidèles, ils sont considérés comme des païens. Il y a un terme – djakhiliia, c’est à dire des ignorants ne connaissant pas la vraie foi. Au Badakhchan ont principalement cours d’autres processus de déstabilisation, liés à résistance des élites locales au pouvoir à Douchanbé. Les Tadjiks sont sunnites. S’il n’y a pas directement dans le Badakhchan de conflit confessionnel, il n’y aura en tout cas aucun soutien aux sunnites radicaux. Sur ce point aussi, l’expérience est là : les Pamiris au cours de la guerre civile au Tadjikistan en 1992-1997 appartenaient à l’opposition, mais ils interagissaient très peu avec la force principale de l’Opposition tadjike unie (OTU), ils se sont juste isolés du reste du Tadjikistan, se servant entre autres et simplement du facteur de la géographie et du relief, et ont très peu participé à la guerre, ils se sont juste autonomisés. La Vallée de Racht – et plus correctement dans notre terminologie la zone de Karategin incluant les Districts de Garm, Tavildara, Racht et Djergetal au Tadjikistan – est une région vraiment fortement islamisée, cette région était le cœur de l’OTU dans la guerre des années 1990. Elle a des liens traditionnels avec le territoire de l’Afghanistan, mais en Afghanistan, dans les années 1990 et aujourd’hui, elle a entretenu et entretient des relations profondes avec l’ancienne Alliance du Nord, à savoir des Tadjiks ethniques, dont son représentant Abdullah Abdullah – bientôt le plus que probable président de l’Afghanistan après le prochain second tour des élections. Je ne vois pas ici de liens avec l’internationale terroriste.

L’Ouest du Kazakhstan J.Z : En dernier lieu, j’aimerais parler de l’Ouest du Kazakhstan. C’est une région où les Etats-Unis et d’autres pays occidentaux ont des intérêts pétroliers et énergétiques importants. L’Agence d’informations kazakhe Tengri a indiqué que 90 % des 8 000 habitants de la province, qui sont de foi musulmane, sont âgés de 13 à 30 ans, et que 70 % des jeunes sont influencés par le salafisme. Le groupe Jund al-Khilafah est arrivé à l’ouest du Kazakhstan, qui est à moins de 483 km par la mer du Caucase du Nord russe. L’Ouest du Kazakhstan est aussi une région où en 2011 dans la ville de Janaozen ont eu lieu des actions de protestations à l’issue mortelle. En 2012, les forces de sécurité du Kazakhstan ont très bien réussi à détruire les cellules terroristes dans cette région occidentale. A.K : Cette région est bien exposée à cette menace, comme n’importe quelle autre région du Kazakhstan, mais l’influence afghane sur lui n’est possible que par un transit par le Turkménistan. Pour parler de la probabilité d’une activité terroriste ou de son absence, il est nécessaire de comprendre sa nature. Dans tous ces groupes qui sont en train de changer de configuration organisationnelle, de nom, il existe deux grands superviseurs directs externes : les services spéciaux de la Turquie et de l’Arabie Saoudite. Au-dessus d’eux – les services de renseignement des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Cette tâche urgente, ayant reçu des impulsions majeures dans le contexte de la poursuite du rapprochement rapide de la Russie et de la Chine, et du choix géopolitique suffisamment précis fait par le Kazakhstan – la déstabilisation de l’ « arrière » chinois, qu’est l’Asie centrale, le « ventre » de la Russie, se trouve ici. Une des tâches particulières mais très importantes – la violation ou même la cessation des approvisionnements en énergies de la mer Caspienne vers la Chine. C’est notamment dans ce contexte que l’Ouest du Kazakhstan est important. Traduit du russe par David Gaüzere Relu par Etienne Combier